TROCH Denis
« Les meilleurs éducateurs devraient être dans les plus petites catégories »
Il a été joueur, gardien de but, au Red Star, au PSG et au Paris FC. Il a été entraîneur, au PSG, à Laval, Le Havre, Amiens, Troyes ou Niort. Il est aujourd’hui à la tête d’une structure de management et de préparation mentale (H-Cort Performance) qui se propose d’offrir des outils pédagogiques aux entraîneurs ou aux éducateurs. Et surtout d’amener tous ceux qui gravitent autour des sportifs, les sportifs eux-mêmes, à réfléchir sur les notions de bons sens, de bienveillance et d’autonomie. A lire absolument par beaucoup de parents qui vivent par procuration le parcours de leurs enfants, mais aussi par trop d’éducateurs qui n’appréhendent leur fonction qu’à travers le prisme de la compétition et des résultats. Négligeant tout le reste.
Denis Troch, quel est le principal piège dans lequel tombent trop facilement selon vous, parents et éducateurs de football ?
Un parent doit éviter de vivre la carrière de son enfant par procuration. Un éducateur ne doit pas faire passer ses envies personnelles au détriment du développement de ses jeunes joueurs; se détacher absolument des enjeux pour éviter de tomber dans l’émotionnel. Pour les parents comme pour les éducateurs, le but étant de permettre à l’enfant d’être autonome le plus vite possible. Pour lui permettre de sortir de l’indépendance d’un référent, encore faut-il avoir été formé pour ça. Encore faut-il être attractif et savoir se servir de sa passion, le football, pour lui permettre de grandir en toute autonomie.
On voit beaucoup d’éducateurs au bord des terrains qui manquent de recul et dramatisent les situations, que ce soit dans les manifestations de joie après des victoires, ou les colères après les défaites. Pensez-vous que les formations qu’ils reçoivent sont suffisantes pour leur faire prendre conscience de tout ça ?
Je ne me permettrais pas de juger le contenu des formations que reçoivent les éducateurs. Ce n’est pas mon rôle, je ne veux surtout pas me placer en donneur de leçons. Je me place seulement du côté du bon sens et je considère qu’une personne qui éduque ne peut pas conditionner son action, la détourner de sa dimension éducative, au prétexte qu’elle agit au nom d’un club ou d’une institution. Concrètement, si je suis stressé au bord la touche, il est impossible que mes joueurs ne le soient pas aussi sur le terrain. Si je pousse un jeune joueur dans une direction qui ne lui convient pas, parce qu’elle n’est pas adaptée à ce qu’il attend du football, parce qu’elle ne correspond pas à sa mentalité, ou à son niveau, il s’en détournera. Trop souvent les objectifs de résultats, dès le plus jeune âge, prennent le pas sur les objectifs de contenus, ce qui engendre une pression que ne sont pas aptes à subir tous les enfants. Pour éviter de les voir s’éloigner de la pratique du football, il vaut mieux parler d’objectifs de réalisation.
« Objectifs de réalisation plutôt qu’objectifs de résultats… »
De quoi s’agit-il exactement ?
A la fin de chaque match, de chaque entraînement, que peut-on se dire après une défaite, un nul, une victoire, quelles conclusions en tirer, quelles choses peut-on valider ou pas ! La meilleure manière d’enlever de la pression aux enfants est de leur permettre d’acquérir le plus vite possible des notions, des valeurs importantes, des attitudes qu’ils vont pouvoir répéter sans même s’en rendre compte. Si dans votre vie personnelle, la tolérance est une
valeur essentielle pour vous, et si vous êtes obligé, tous les matins, de vous persuader d’être tolérant toute la journée, forcément ça va engendrer chez vous du stress et de la pression. Par contre, si vous avez intégré ça depuis longtemps, ça devient une habitude, un réflexe. C’est pareil pour les jeunes en formation qui seront d’autant moins soumis au stress qu’ils auront validé avec leur éducateur des attitudes et des réponses pour chaque situation.
Peut-on adresser un même discours à des enfants qui n’ont peut-être pas les mêmes ambitions, la même maturité etc ?
L’idée est évidemment d’avoir un discours collégial qui touchera en même temps tous les individus du groupe. Cela nécessite une gymnastique d’esprit pour s’adapter, un vrai entraînement mental à effectuer de la part des éducateurs.
Malheureusement, on voit finalement assez peu d’éducateurs qui parviennent à avoir cette sensibilité, à être capable de faire abstraction du résultat, de l’environnement, de leurs émotions personnelles etc. pour se concentrer sur la nature de leur discours, ce qu’ils transmettent aux enfants…
Les éducateurs sont généralement pleins de bonne volonté et, lorsqu’ils sont maladroits dans leurs interventions, c’est aussi parce qu’ils n’ont pas les bons outils. Les pires sont ceux qui encouragent des actions tendancieuses pour amener leurs joueurs à ne pas s’ouvrir aux autres, à leur manquer de respect. Quand il faudrait que les meilleurs éducateurs soient au contact des plus basses catégories, les clubs préfèrent souvent les confier à des parents de bonne volonté, éducateurs ou pas, dont l’intervention ne survivra pas forcément au parcours de leur enfant.
Quelle doit être l’attitude d’un parent lorsqu’il prend conscience que le fonctionnement de l’éducateur de son fils ne correspond pas à ses valeurs ou ne permet pas à son fils de s’épanouir ?
Je suis bien placé pour en parler. Un jour, un de mes trois fils, qui a grandi en suivant mon parcours d’entraîneur, et en jouant dans les mêmes clubs que moi, est venu me voir pour me dire qu’il avait un souci avec son éducateur. Il pensait qu’il ne le faisait pas jouer uniquement pour montrer aux autres parents qu’il n’était pas influencé par le fait qu’il soit le fils du coach de l’équipe première. En début de saison, pour éviter tout problème, j’avais dit à cet éducateur : « A niveau équivalent, fais jouer un autre joueur que mon fils ». Avant de revenir éventuellement le voir, en mettant tout émotion de côté, je me suis demandé à qui appartenait ce problème ! Est-ce le problème de l’éducateur, celui de mon fils, le mien ou celui de tout le monde ? C’était évidemment le problème de mon fils, donc c’était à lui de le régler. Car au fond peut-être jouait-il au foot uniquement pour me faire plaisir, ou pour de mauvaises raisons, et pas parce qu’il aimait ça profondément. Cela l’a obligé à prendre ses responsabilités, et à aller parler à son coach. Car le gamin a aussi son mot à dire. Trois semaines après, il jouait dans la meilleure équipe de sa catégorie.
« Un parent n’est pas là pour se substituer au coach mais pour protéger son enfant »
Quelle aurait-été la mauvaise attitude à adopter dans cette situation ?
De faire passer vos émotions en premier, de transmettre votre colère à votre fils. Un parent n’est pas là pour se substituer au coach mais pour protéger son enfant, l’accompagner, pour lui permettre d’être le plus serein possible face à sa pratique sportive, les choix du coach, les résultats etc. Il faut lui donner un cadre, à charge à lui de voir
ensuite si ce que lui propose son éducateur correspond aux valeurs qu’il y a dans ce cadre là.
Et si ce n’est pas le cas, si ça déborde du cadre ?
Si vous tombez sur un coach qui demande à votre enfant de marcher sur ses adversaires, de gagner de n’importe qu’elle manière, il faut aussi lui expliquer que le monde du sport à ses règles, des codes parfois différents auxquels il peut adhérer ou pas. C’est aux parents d’éduquer leurs enfants pour qu’ils soient en capacité de réagir, de s’adapter à un autre cadre. Lorsque j’interviens auprès d’équipes de jeunes, j’ai l’habitude d’informer d’abord les parents, leur dire : voilà comment je fonctionne et ce que je veux transmettre à vos enfants. C’est aussi un moyen de les impliquer, pour qu’ils m’aident à faire passer les messages.
Ce que vous pouvez faire vous, parce que vous avez une longue carrière derrière vous, beaucoup d’expérience et de recul, peu d’éducateurs sont en capacité de le faire, surtout dans les plus petites catégories où les clubs mettent souvent des profils inexpérimentés…
Alors qu’il faudrait y mettre les meilleurs ! C’est une évidence. Si vous voulez avoir un bel arbre, il vous faut bien préparer la terre. Ensuite, derrière, il n’y aura plus qu’à élaguer les branches de temps en temps. Or, au niveau amateur, c’est vrai, on met trop souvent des parents aux responsabilités à des âges charnières sans leur donner les outils nécessaires.
« Apprendre à être managé est aussi important qu’apprendre à manager »
D’où la difficulté de fidéliser les gamins ?
Oui, ça peut venir de cette carence mais pas seulement. On a trop tendance à raisonner comme à notre époque, lorsqu’on débutait dans un club et qu’on ne changeait que de manière exceptionnelle, pour aller voir le niveau supérieur souvent. Aujourd’hui, ils changent de club comme ils changent de villes, de maisons, d’écoles, de fac, de copines, de pays… Ils voyagent davantage, ils bougent davantage. La société a évolué qui a fabriqué des générations qui ont vu leurs parents travailler toute leur vie dans la même usine ou société et qui se retrouvent au chômage du jour au lendemain. Ils ne veulent pas de ça et n’ont pas le même rapport au travail, à la fidélité, à l’investissement, à tout ce qui faisait le socle de l’éducation des générations précédentes. Cette mentalité, forcément, se décline dans le football avec des comportements différents. Ils lâchent prise plus facilement.
Croyez-vous encore à la dimension éducative du football ?
Pour ça, il faudrait retrouver esprit de bienveillance, esprit de compétition et changer radicalement la façon de faire. Parce qu’on parle beaucoup de management, on se demande beaucoup si les éducateurs ou les entraîneurs sont de bons managers mais apprend-on dans la vie à être managé ? Non, jamais, alors que c’est aussi important pour avancer, alors que 99,9% des gens le sont forcément dans leur vie professionnelle ou leur vie sportive. Apprendre à être managé, c’est révolutionner la manière de travailler, apprendre à se positionner par rapport aux autres; quelqu’un au dessus, quelqu’un à côté. Et ça peut changer la vie.
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